BRIBES DE SEDENTAROLOGIE POLITIQUE

les mondes sédentaires regardés depuis le bord de la route


Habiter

La maison , le chez-soi, le départ

Ou la protection, le connu, la certitude du retour


Voilà tout ce qu'une vie sur les routes semble compromettre. Et pourtant, c'est bien en devenant nomade que j'ai mieux compris ce qu'était avoir un chez-soi. Le mien me suit partout, ce qui est très pratique, car on n'a plus à faire de valises. On a toujours tout sous la main, d'autant plus que l'espace est réduit. Il ne faut cependant pas sous-estimer la capacité d'entasser et de ne plus savoir où sont si bien rangés les objets que l'on cherche. Mais là n'est pas l'essentiel. L'essence d'une maison, d'un home sweet home, est d'être une sorte d'enveloppe protectrice de l'intimité et un écran entre soi et les autres, tous les autres ou ceux qui ne font pas partie du cercle restreint des très proches.

C'est aussi un lieu, un espace connu, où l'on a des habitudes, où les autres ont l'habitude de nous voir. La tranquillité d'esprit de l'espace à soi passe par la validation par les autres de notre droit à l'occuper. Il est normal, habituel de nous y voir. Quand nous partons, nous savons où nous revenons. Que ce départ nous ait éloignés une journée ou plus, nous ne sommes que provisoirement dans un entre-deux: entre le chez-soi et le public. Cela explique sans doute en partie la différence de traitement en certains endroits entre touristes en camping-car et personnes sur la route à l'année. Les premiers ont un lieu fixe, où ils sont réputés retourner. Les seconds sont un peu différents. Ils ne sont pas là pour dépenser ou se reposer. Ils sont de passage, ou bien là pour un travail. Ils n'ont pas de maison aux yeux des sédentaires, alors que leur maison est au contraire toujours avec eux. Comme tout ce qui est différent, ils font parfois un peu peur, voire génèrent du rejet. Mais d'où vient ce sentiment de normalité du sédentaire? Être itinérant, nomade, en transit... Les migrations, voulues ou non, ne sont-elles pas le lot d'une part bien plus importante de l'humanité que ce que l'on s'imagine ?

Notre histoire, en tant qu'espèce, est faite de migrations et de voyages incessants. Jamais, peut-être, nous sommes-nous si peu déplacés qu'aujourd'hui, en particulier en Europe occidentale. Bien sûr, il y a des départs en vacances, mais ceux-ci ne concernent pas l'ensemble de la population, loin de là (cf. pour la France l'Observatoire des inégalités). La surabondance de récits sur les vacances (dans les médias et les réseaux sociaux en particulier) laisse penser que partir en vacances relève de la norme, de la normalité pour tout un chacun. Bien au contraire, à part une frange restreinte de la population, le gros des troupes bouge peu (quelques jours dans la famille, un déplacement pour un entretien, une semaine éventuellement de location, un peu plus en camping et c'est retour à la case maison fixe).

D'où une certaine "anomalie" des gens de la route: alors qu'ils ont parfois peu de moyens, ils profitent d'un mode de vie bien plus régénérant que la plupart. J'écris ces quelques lignes depuis mon camp d'été, en face de la mer à Plouguerneau (29), près de la plage de la Grève blanche. Il y a plus à plaindre.

Une autre dimension importante de l'assentiment social qui accompagne la sédentarité réside sans doute dans le contrôle qu'elle facilite. Mais c'est alors oublier les combats et les résistances, tout au long des siècles passés, contre l'identification précise des lieux de vie par les pouvoirs en place.


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